dimanche 1 mars 2015

L'energie de l'acteur




Avant-propos

Mon travail n'a rien d'une solution miracle et n'a peut-être rien de nouveau à part mon talent d'accompagnateur.
Ce travail est fondé sur l’héritage pratique et philosophique de mes anciens maîtres mais il est aussi composé de la fleur du travail, d'une logique qui au fil des années s'est ordonnée en pratique grâce au talent des nombreux interprètes, professionnels et débutants, que j'ai dirigé.

L'énergie est, de manière générale, la capacité de faire un travail, c'est-à-dire d'agir.
Au sens de la science physique, l'énergie est une mesure de la capacité d'un système à modifier un état, à produire un travail entraînant un mouvement, un rayonnement électromagnétique ou de la chaleur.

Aristote a utilisé ce terme « au sens strict d'opération parfaite », pour désigner la réalité effective en opposition à la réalité possible.


Introduction

Il est toujours difficile de parler d'un sujet aussi vaste que l'acteur.
Parler de l'acteur c'est aussi quelque part parler de l'homme, du théâtre, de l'histoire de l'humanité, de la vie et de l'art en général, du regard du spectateur et ainsi de suite, des croyances, de nos politiques, des morales, etc..
Difficile aussi car il faut nécessairement aborder le sujet sur deux fronts, le front poétique mais aussi celui pratique, l'aborder de façon sensible et rationaliste à la fois.
L'un et l'autre sont complémentaires mais ils ne s’adressent pas au même niveau de compréhension.
Le but de cet « article » est d’introduire une réflexion autour du travail de l'acteur et de ses objectifs, mais aussi d'essayer de trouver une cohérence dans une méthode de travail qui se compose dans le temps et qui est donc toujours en évolution.
D'apporter le fruit d'un travail ordonné par la pratique, l'observation et l’intuition, fait de tentatives, résultats, déceptions et victoires, progrès, expériences directes.

C'est un constat, un état des lieux, un choix du travail qui m'a été passé par mes maîtres et des ponts que j'ai bâti en pratiquant en tant qu'acteur et formateur.


Un espace mystérieux 

Le théâtre est un vaste domaine, un lieu vraiment mystérieux.
Séparé en deux parties distinctes, acteurs d'un côté et public de l'autre, hommes et femmes se réunissent pour vivre une expérience commune.
Un territoire d’échange de la pensée des hommes, lieu de rencontre des générations et de partage où les auteurs, le metteur en scène, les acteurs et le public philosophent autour de la condition humaine, de son passé, de son présent, de son sort.
Un temple dédié à la mémoire vivante.

Pour produire du théâtre il faut une collaboration entre plusieurs compétences qui œuvrent dans le désir de l'aboutissement d'un effort collectif.
La représentation doit être le résultat d'un d'équilibre où le rôle de l'auteur, celui du metteur en scène, de l'acteur et aussi celui du spectateur se rencontrent.
C'est la condition nécessaire au phénomène de la catharsis propre à la représentation théâtrale.

On peut faire du spectacle en faisant du théâtre mais le contraire est rare...
Car plus on s'exprime et moins on communique.

Lorsqu’au cours d'une représentation nous voyons trop l'auteur, ou trop le metteur en scène, ou trop l'acteur et même le public ou le décor, la lumière, la musique etc. nous quittons progressivement le théâtre pour aller vers la représentation d'autre chose.

L’équilibre est subtil et fragile et dans notre art, comme le funambule sur le fil, nous le cherchons sans cesse.

Pour qu'il y ait un tel équilibre de compétences et de travail d'ensemble il faut imaginer la création d'une pièce de théâtre comme un grand corps, plus grand que nous, composé de tous les acteurs de la création et dont nous faisons partie. Il faut donc apprendre à renoncer paisiblement à ce « quelque chose » que nous avions créé et à ne pas être nostalgique vis à vis du travail qui va s'effacer au cours des répétitions, emportant avec lui quelques-unes de nos idées, de nos images.

Ce procédé nous oblige nécessairement à nous pencher sur les notions d'humilité et de confiance :
Humilité dans le sens où il faut apprendre à accepter ce qui n'est pas fixé d'avance et à faire confiance aux talents de chaque participant à la création. Confiance aussi dans le fait que tout le monde œuvre dans le même but commun et qu'il emploie les mêmes principes que nous.
Bien sûr ceci suffit à justifier le rôle du metteur en scène, d’une figure qui soit plus grandement impliqué dans l'orchestration du projet.
Mais au-delà du rôle du metteur en scène, en adoptant « humilité et confiance » chacun peut valoriser son énergie et son intuition comme étant un outil concret de création, car nous pouvons nous concentrer d’avantage sur notre propre rôle dans le processus créatif de l’œuvre.

De plus, que nous soyons auteur*, metteur en scène, acteur ou spectateur nous devons nous confronter avec le caractère éphémère de la représentation théâtrale, son lien avec le moment présent et qui, à la différence d'autres expressions artistiques (la peinture, la sculpture, la photographie, etc.) ne peut pas chercher à traverser le temps et emporter les visions de l'artiste vers un élan immortel.

*ça peut être un sujet de discussion.

"Le culte du passé est sans importance mais la mémoire guide notre action"

Malgré les résistances et une certaine réalité du métier, je suis de cette famille qui désire un acteur invisible, un acteur qui œuvre dans l'objectif d’être un passeur de mémoire vivante, porteur de la pensée des philosophes et miroir de l'actualité. Un acteur qui apparaît autant que l’interprète disparaît.

Aimer le théâtre ne signifie pas forcément aimer être acteur.


Questions


Une pratique en quête de sens

Car au travers de la représentation théâtrale nous ne cherchons pas de réponse mais d'avantage de questions.

« Faire du théâtre signifie pratiquer une activité en quête de sens » E. Barba « Le canoë de papier »

En ce sens l'acteur serait un professionnel du questionnement car il puise sa vitalité en essayant d'atteindre la vérité inaccessible.
Questions relatives à sa propre pratique du métier et à sa relation avec la mémoire vivante. Souvent le fil entre les deux est très mince.


Quelle est l'art de l'acteur ?
Quelle est la source de cette énergie qui envahit le corps de l'acteur ?
Quel est ce phénomène de la présence de l'acteur qui en dilate le corps et l'esprit ?
Quelle est la différence entre la vérité et la sincérité ?
Entre le quotidien et l’extra-quotidien ?
Qu'est-ce que les sentiments et les émotions, comment les utiliser?
De ces questionnements naissent d'autres questionnements :
Sur quoi agissons nous quand on travaille sur des actions, sur des mouvements ?
Quelle est l'alchimie entre le texte et le mouvement du corps, quel est leur espace de rencontre ?

Enfin, nous nous apercevons que nous ne pouvons pas travailler sur le jeu de l'acteur sans nous pencher sur son objectif, le public. L'autre côté de la médaille, le miroir, ce qui renverse tout et ouvre le questionnement sur d'infinies possibilités.

Cependant il existe des notions universelles sur lesquelles nous pouvons nous appuyer.
Ces notions agissent au niveau pré expressif de l'acteur et nous éclairent sur le phénomène de la présence scénique. Elles nous donnent des informations sur comment utiliser le corps, la voix et l'espace aux fins de la représentation.

Dans toutes les grandes traditions culturelles du monde nous retrouvons un théâtre où l'acteur utilise une alchimie qui marie le jeu avec le chant et la danse.
Le kathakali, la danse de Bali, le Kabuki, l’Opéra chinois, le Nô, le Kyogen, la tragédie grecque et la Commedia dell'Arte sont (entre autres) encore aujourd'hui des lieux d'expression où nous pouvons observer ces liants universels à l’œuvre :

Une technique corporelle (forme et substance, langage extra quotidien, esthétique)
La précision (travail sur le détail)
Le rythme et la musicalité (source de l’interprétation)
La suggestion (fantaisie, imagination, états émotionnels)



Le « secret » de l'acteur

Le « secret » de l'acteur est dans l'aspect unique de l’interprète, dans le développement de sa nature propre.
Il se trouve dans la synthèse de ces notions universelles, plus le phénomène de la suggestion qui l'envahit et qui est la délivrance de sa créativité, de son imaginaire, de sa fantaisie et de sa vision personnelle du monde.
Il se trouve dans cette liberté qui existe entre milles contraintes.

Il est vrai que nous pouvons expliquer comment cela se fait que l'on meurt mais nous ne pouvons pas expliquer avec la même science pourquoi nous sommes en vie.
De la même manière existe dans le travail de l'acteur une fracture entre le quoi et le comment.
Cette fracture est une question d'« énergie », de polarité, de vitesse et de température.
Zeami (Grand maître du Nô Japonais) disait : « Je peux vous enseigner la forme parfaite et le geste parfait pour designer la lune, mais du bout de votre doigt à la lune ça ne tient qu'à vous. »

Nous nous apercevons que beaucoup de choses qui concernent le «  secret » de l'acteur et l'alchimie entre la scène et le public restent mystérieuses et qu’elles ne peuvent pas être expliquées uniquement de façon théorique. Il n'existe pas à ma connaissance une recette miracle pour qui voudrait s'approprier le « secret » en se passant de la pratique et de l’expérience personnelle.

C’est mon opinion que la plupart des acteurs, au cours de leur formation, fixent trop tôt leur potentiel d'expression.
Ils produisent des protections pour se défendre du public. Alors ils crient, ils courent et ils utilisent leurs muscles à tout va, ils abusent de leurs techniques et cette technique se voit trop. Eux aussi finalement, on les voit trop.

Il est juste que l'acteur forge des protections mais il est du ressort de la qualité de la formation et du formateur de faire en sorte que ces protections opèrent plus en profondeur, au-delà de la technique, dans les couches plus sensibles de l'acteur.
La technique, même la plus riche et superbe, même la plus suggestive, n'est pas une fin en soi et ne doit servir qu'à développer les outils apparents de l'acteur afin de lui permettre de travailler sur ses outils imperceptibles, invisibles au spectateur, son énergie.
La technique a cet inconvénient d’être la même pour tout le monde tandis que la qualité de l’énergie est unique et propre à chaque interprète.



L’acteur dans sa pratique

L'acteur est l'interprète de l'auteur mais aussi du metteur en scène, du public, du monde. Il est au centre d'une espèce de rose des vents où ces visions convergent. Il doit pouvoir en faire la synthèse.

L’acteur est semblable à un instrument de musique. Un individu capable de jouer d’un instrument d’une grande justesse et d’une grande sensibilité où l’interprète et son instrument sont fondus en un seul être. L’instrument dont je parle est le corps humain. Cet instrument sait parler, danser, chanter, agir et se laisser traverser par les choses du monde.
Notre corps agit sur le monde au moyen de ses muscles et de sa voix. Le monde dont je parle est un espace qui peut être extérieur et intérieur.

En ligne générale tous les êtres humains se confrontent au monde de façon complètement instinctive et naturelle, de façon presque inconsciente. La vie même est un parcours d’apprivoisement du monde et de ces espaces : d’abord de façon instinctive dans l’enfance, puis de plus en plus maîtrisée au fur et à mesure que nous intégrons la langue et les règles sociales, ses codes et les symboles qui finissent par composer notre caractère, nos attitudes et notre apparence. Dans ce chemin nous faisons toute une série de choix, composant cette identité qui nous permet de devenir une personne et de vivre au sein de la communauté.

Mais une personne, malgré sa capacité innée à copier les comportements, n’est pas encore un acteur au sens théâtral. Un acteur est une personne qui se spécialise en un domaine précis. Ce domaine est la capacité à créer des mondes, ou mieux, à transposer la réalité en une forme artificielle. Pour ce faire il a besoin d’un apprentissage qui lui permette de décomposer le monde (comme en musique nous isolons les sons) afin de le recomposer à notre guise et de façon claire (audible et visible).

L’acteur, en explorant la relation entre son corps et les choses du monde (sol, les autres, objets, murs, chambres, grands espaces, déserts) et celle des choses de l’âme (l’univers abstrait de la présence, des émotions, des sentiments, de l’intuition, l’hésitation, etc.) s’entraîne à en prendre conscience.
Ensuite cet acteur doit pouvoir transposer ce savoir dans un espace régi par des lois artificielles, un espace à la fois imaginaire et collectif, un lieu d'exploration des extrémités périlleuses. Le théâtre, l’arène de la vie.

Ainsi l’art de l’acteur est à considérer non pas comme un art conceptuel, un art de la fantaisie, mais un art du concret. Car nous ne pouvons concevoir, en réalité, que ce qui existe déjà.

« Toute abstraction a son origine dans la matière » écrit Decroux dans Paroles sur le mime.

L’acteur doit être avant tout un créateur qui, grâce à son métier et sa méthode, choisit, épure, isole, transforme et agrandit la réalité et l’utilise pour aboutir à une forme artificielle, une œuvre. L’acteur devrait posséder mieux que personne l’art de jouer la manière dont le monde agit sur le corps et dont le corps agit sur le monde.

L'acteur est donc un artiste qui s'interrogera sans cesse tout au long de sa pratique, et au-delà de sa formation de base, car l'acteur doit pouvoir se façonner tout au long de l’exercice de son métier au moyen d'une stratégie de travail qui lui permette d’évoluer sans cesse et en complicité avec le metteur en scène. (Alchimie corps-texte)

Mon intention a toujours été de développer une méthode à usage de l'acteur afin qu'il puisse enrichir ses compétences et ses capacités créatives en solo et en groupe et améliorer ainsi sa relation avec le metteur en scène. Une méthode pédagogique jaillie au fil du temps de cette pratique, précisant son langage, ses expériences, ses objectifs et sa couleur.



Le Corps : Outil de l’acteur

Le Corps est un espace dans lequel l’interprète ne fait qu’un avec son instrument. Un instrument d’une extraordinaire justesse et sensibilité, qui peut nous donner à voir ce dont nous n’avons pas l’habitude.
Il est aussi l’organe qui nous permet d’émettre des sons qu’au fil du temps, l’homme a articulés en mots. Le mot relevant de l’intelligence est un artifice, dans la mesure où l’homme a analysé, isolé et organisé les sons primordiaux en un code transmissible : la langue. Il l’utilise alors pour prendre la parole, produire du discours, puis du texte.
La parole est le résultat d’un vécu que l’on ne peut pas ignorer, elle évoque un mouvement qui devient visible pour qui l’écoute.
Le texte en est la trace, un instantané qui défie le temps. Il peut faire parler le Corps, de sa mémoire et de sa relation aux autres Corps.
Le Corps peut donner à voir ce que la parole ne peut pas nous dire.

Le but de l'acteur est celui d’occuper l’espace de rencontre possible entre ces deux vecteurs. Un « no man’s land » où le Corps donne l’absolu et le texte le détail.
Tel un parfum émanant du concret, de leur fusion naît le langage poétique : l’alchimie Corps-Texte.



Réponses

Un acteur créateur au sein de la création

On comprend avec la pratique que devenir un acteur et un créateur suppose autre chose que l'amour du théâtre : un travail sans frontières et une discipline.
Car un acteur doit pouvoir faire ce qu’il veut et non seulement ce qu’il peut.

Très souvent la capacité à créer est un talent à disposition d’un petit nombre d’interprètes et cela à cause d’une faille, un manque dans la formation de l’acteur. Un manque d'outils (car on considère que cela est du domaine de création du metteur en scène) et un manque d'exigence (car lorsque nous forgeons des outils nous ne leurs demandons pas de réfléchir à notre place).
Ce manque limite la capacité de création et celle d’expression des interprètes et limite la relation avec le metteur en scène (créant par ailleurs des tensions inutiles dérivées de cette incompréhension).


L'urgence est que l’acteur dispose de :

Une formation exigeante dispensant l'apprentissage des notions de base du travail de l'acteur et l'approfondissement de ces notions jusqu'à révéler sa particularité.

Une méthode de travail avec des exercices, une pédagogie de la direction de l’acteur et de la composition de sa propre partition cohérente avec l’œuvre qui est à créer.

Un exercice idéal qui lui permette d'apprendre sur le tas en faisant une expérience concrète.
Un travail lui donnant l'occasion de se servir des outils et de l’expérience acquise de façon individuelle et au sein d’un groupe pour répondre aux nécessités de la mise en scène et valider ainsi ses compétences techniques et créatives.

Un dialogue nouveau avec le metteur en scène.


Le résultat de cette démarche serait :

D'abord celui de développer les capacités créatives de l'acteur afin de lui donner une plus grande autonomie au sein de la création.
Deuxièmement de développer un exercice idéal fondé sur un phénomène de composition cénesthésique triangulaire : la relation alchimique entre le sens du mouvement et le texte (parole) et la perception du spectateur.
Le tout agrémenté par un langage et une série très vaste de notions et d’expériences pratiques.

Mais cet élan pourrait facilement se disperser dans la multitude des champs de recherche qui s'ouvrent à nous s'il n'existait pas un dénominateur commun :

De Meyerhold à Eugenio Barba, en passant par Etienne Decroux, Grotowski, Brecht, Stanislavski, etc. sans citer ici l'illustre foule de chercheurs, novateurs du théâtre pour ainsi dire moderne, praticiens et penseurs, qu'ils soient français, italiens, russes, polonais, japonais etc. qui se sont succédé et se succèdent encore aujourd’hui, chez tous j'ai entendu le mot « énergie ».

Alors peut-être que ce travail n'est à considérer très simplement que comme une tentative de plus pour approfondir la source de l’énergie de l'acteur.



Formation et entretien

Formation et entretien sont deux étapes différentes du travail de l'acteur et il ne faut pas les confondre.

L'art de l'acteur, son secret, réside dans la découverte et la maîtrise de son énergie propre et la plus grande partie de cet apprentissage concerne la formation.
Ce qui est primordial est de travailler autour de la notion d’énergie et de toutes ses extensions au niveau extérieur et intérieur.
De développer une science des forces qui œuvrent aussi à un niveau imperceptible, dans le dosage savant de l'espace- temps et développer la spécificité de chaque interprète.

Dans le cadre de la formation, le travail de l'acteur ne se résume pas seulement à l’apprentissage d'une technique (langage du corps, maîtrise de la parole et du chant) mais requiert aussi une recherche de sens, un travail sur le développement de ses capacités créatives et d'analyse, une méthode qui lui donne les outils pour cerner son “secret” et parvenir à cette identité qui fait apparaître de lui ce qu'il y a d'unique, son art.

Pour ce faire une formation doit œuvrer sur le double profil de l’énergie de l'acteur.
Elle doit dispenser à la fois des notions techniques solides sur le travail corporel, vocal et rythmique et développer le domaine plus sensible des forces intimes.
Enfin mais non moins important, il faut qu’elle entraîne l'acteur aux stratégies de la création en vision de leurs applications dans le métier.



Un Acteur Autonome travaille avec un nouveau metteur en scène.

Nous ne pouvons pas imaginer un acteur autonome sans mettre au point une pédagogie développant la maîtrise des outils qui s'offrent à lui et la capacité à choisir, donc à composer.

De quoi s’agit-il ?

D’outils personnels permettant d’évoluer dans sa pratique (training autonome, une pratique du corps, maîtrise de la voix, etc.).
De développer une science de la création (stratégies de compositions).

D’outils extérieurs :
De partitions gestuelles et sonores faites de mouvements, actions, vitesses, de formes et d’esthétique, techniques.
Sons, paroles...

D’outils intérieurs:
Chemins d’énergie, vagues de la pensée, oppositions de forces, luttes, couleurs émotionnelles, sensibilité.

Il doit aussi intégrer une technique de travail de groupe et les notions du choix collectif fondées sur l'observation, le constat, le reflet, l'entraide et le sens choral.

Il est clair que viser à l’autonomie de l'acteur ne signifie pas que celui-ci devra travailler seul.
En plus du groupe, il a besoin de s’appuyer sur une figure qui le dirige et qui l’aide à choisir. Quelqu’un capable d’harmoniser les innombrables couches dramaturgiques et capable de composer l’œuvre finale.

Mais puisque l’acteur autonome est plus impliqué dans l’aspect créatif de l’œuvre et qu’il ne travaille pas pour le metteur en scène mais avec, nous sommes loin de l’acteur-outil au service du « metteur en scène artiste » au même titre que la lumière, le décor, la musique, etc.
Nous nous apercevons très vite que nous ne pouvons pas résoudre la problématique de la créativité et l'autonomie de l'acteur sans imaginer une nouvelle approche au metteur en scène, mais également une nouvelle approche du metteur en scène à la création de l’œuvre.
Ce metteur en scène, tout comme l’acteur, doit développer sa perspicacité et doit être capable de travailler par stratégies.
Le metteur en scène devient notre premier spectateur.

Si on accepte cela, nous ouvrons une réflexion sur l'objectif et la véritable cible de la représentation qui nous conduit à considérer la notion de spectateur.



Le spectateur est l'objectif (se laisser traverser par...)

La scène est l’espace où spectateur et public se retrouvent pour la représentation d’une œuvre théâtrale.
Ceci-dit acteurs et public ne vivent pas la même expérience. Si par exemple l'acteur travaille sur le désespoir, le public ne reçoit peut-être pas du désespoir mais peut-être de la jouissance en désirant le juste châtiment pour un personnage négatif (je pense à Dom Juan).
La scène est le support où l'acteur peint les lignes (travail sur les lignes de force du plateau et leur symbolisme) et où il agence toute sorte de décors de son imaginaire (véhicule l'esprit dilaté).
Mais si le public n'est pas obligé de connaître la manière avec laquelle l'acteur travaille, il est nécessaire pour l'acteur de comprendre comment le public reçoit ce qu'impulse l’interprète.
L’acteur doit intégrer dans sa pratique un travail sur le spectateur : apprendre à faire le constat du travail de nos camarades, en comprendre l'efficacité, perfectionner son ressenti et faire le pont entre l'acteur et le public : perfectionner l'intelligence du plateau.

Le spectateur est à considérer comme un partenaire à qui nous devons nous ouvrir, et qui, grâce à son regard et son imaginaire, a un rôle influent sur notre prestation.
Ainsi, si nous visons à communiquer notre œuvre, nous devons appréhender les lois qui permettent au spectateur de la percevoir et d'interagir avec nous.
Pour ce faire, nous devons abandonner tout rapport de complaisance avec notre travail de création, prendre de la distance, être partout et nulle part à la fois.
Notre œuvre doit pouvoir traverser le spectateur, et nous devons nous laisser traverser par....
Donc, nous devons devenir spectateurs nous-mêmes le plus souvent possible, afin de comprendre de quelle manière l'œuvre se transmet et ce que nous devons faire pour qu'elle soit lisible.
Ceci fait partie d'un apprentissage quotidien, qui vise à habituer l'interprète à s'éloigner de son propre jugement vis à vis de son travail et de celui de ses camarades, en faveur du constat.
Le constat permet à l'interprète de s'entraîner à avoir le regard le plus « juste » possible vis à vis du travail; par conséquent il parviendra plus facilement à faire les choix qui lui permettront d'avancer dans la création de son œuvre. Cela s'applique aussi dans les œuvres collectives.

La place du spectateur est donc pour chacun des participants un exercice quotidien.
Faire le constat quotidien du travail de nos camarades, en accepter les retours, travailler à s'exprimer avec justesse, trouver les bonnes questions etc., est un exercice précieux qui nous apprend beaucoup sur les choix qui, petit à petit, composent notre création, et sur l'impact que celle-ci aura sur le spectateur.



Un Corps philosophique au centre de la création théâtrale:

La pensée du dedans et le mouvement du dehors (le parcours de l’énergie)

Si nous ne pouvons pas transmettre le « secret » de l'acteur, nous pouvons accompagner les interprètes vers cette découverte (qui est plus de l'ordre du désapprendre que de l'apprendre) et leur donner les outils concrets et une passion des stratégies de travail et de composition qui font de l'acteur un métier d'art.

« L'acteur est à la frontière entre deux mondes, il est le sas entre le dedans et le dehors, une membrane vibrant entre le monde des idées et celui du réel.
La pensée, tel un souffle parcourant ce Corps l'emplit de conscience et crée le mouvement et le son qui le sculptent de l’intérieur.
La première action de la pensée est de dilater ce corps, de le remplir, et son premier effort, sa première lutte, sera de le redresser en repoussant la gravité. Dans cette résonance, dans le rythme de ce silence, dans le réverbère de cette solitude naît la « présence » de l'acteur.

Sa deuxième action est celle d'articuler cette « présence » dans l'espace en déplaçant cette pensée d'un point à un autre. C'est ici qu'il se confronte aux premières lignes de force.
Car, se rendre d’un point à un autre selon une ligne bien droite qui relie ces deux points ne représente qu’une « action dramatique » élémentaire. Or, si l’on accepte les principes théâtraux de l’intelligence des lignes et des forces spatiales qui ordonnent la scène, si l’on pouvait voir ce qui nous meut, les raisons qui nous déplacent, si l’on pouvait lire clairement chaque hésitation, chaque impasse, tous les poids et les influences de la Pensée qui parcourt le Corps dans ce simple trajet, nous serions spectateurs du dynamisme des idées : pas seulement d'un simple déplacement, mais aussi de l’expérience vécue lors de cette traversée.

La pensée est portée par l'énergie, l’énergie se condense en émotion et l’émotion devient mouvement du corps, de la parole ou les deux, qui rendent visibles la Pensée.
Force, vigueur, légèreté, délicatesse, grâce... ainsi le Corps se plie, doute, hésite et se redresse, jouant toutes les formes de la Pensée qui émanent de son intérieur ». Tentative de description de l’alchimie corps texte 2004







L’acteur et l’art, l’art de l’acteur (article en cours)

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