Avant-propos
Mon
travail n'a rien d'une solution miracle et n'a peut-être rien de
nouveau à part mon talent d'accompagnateur.
Ce
travail est fondé sur l’héritage pratique et philosophique de mes
anciens maîtres mais il est aussi composé de la fleur du travail,
d'une logique qui au fil des années s'est ordonnée en pratique
grâce au talent des nombreux interprètes, professionnels et
débutants, que j'ai dirigé.
L'énergie
est, de manière générale, la capacité de faire un travail,
c'est-à-dire d'agir.
Au
sens de la science physique, l'énergie est une mesure de la capacité
d'un système à modifier un état, à produire un travail entraînant
un mouvement, un rayonnement électromagnétique ou de la chaleur.
Aristote
a utilisé ce terme « au sens strict d'opération parfaite »,
pour désigner la réalité effective en opposition à la réalité
possible.
Introduction
Il
est toujours difficile de parler d'un sujet aussi vaste que l'acteur.
Parler
de l'acteur c'est aussi quelque part parler de l'homme, du théâtre,
de l'histoire de l'humanité, de la vie et de l'art en général, du
regard du spectateur et ainsi de suite, des croyances, de nos
politiques, des morales, etc..
Difficile
aussi car il faut nécessairement aborder le sujet sur deux fronts,
le front poétique mais aussi celui pratique, l'aborder de façon
sensible et rationaliste à la fois.
L'un
et l'autre sont complémentaires mais ils ne s’adressent pas au
même niveau de compréhension.
Le
but de cet « article » est d’introduire une réflexion
autour du travail de l'acteur et de ses objectifs, mais aussi
d'essayer de trouver une cohérence dans une méthode de travail qui
se compose dans le temps et qui est donc toujours en évolution.
D'apporter
le fruit d'un travail ordonné par la pratique, l'observation et
l’intuition, fait de tentatives, résultats, déceptions et
victoires, progrès, expériences directes.
C'est
un constat, un état des lieux, un choix du travail qui m'a été
passé par mes maîtres et des ponts que j'ai bâti en pratiquant en
tant qu'acteur et formateur.
Un
espace mystérieux
Le
théâtre est un vaste domaine, un lieu vraiment mystérieux.
Séparé
en deux parties distinctes, acteurs d'un côté et public de l'autre,
hommes et femmes se réunissent pour vivre une expérience commune.
Un
territoire d’échange de la pensée des hommes, lieu de rencontre
des générations et de partage où les auteurs, le metteur en scène,
les acteurs et le public philosophent autour de la condition humaine,
de son passé, de son présent, de son sort.
Un
temple dédié à la mémoire vivante.
Pour
produire du théâtre il faut une collaboration entre plusieurs
compétences qui œuvrent dans le désir de l'aboutissement d'un
effort collectif.
La
représentation doit être le résultat d'un d'équilibre où le rôle
de l'auteur, celui du metteur en scène, de l'acteur et aussi celui
du spectateur se rencontrent.
C'est
la condition nécessaire au phénomène de la catharsis propre à la
représentation théâtrale.
On
peut faire du spectacle en faisant du théâtre mais le contraire est
rare...
Car
plus on s'exprime et moins on communique.
Lorsqu’au
cours d'une représentation nous voyons trop l'auteur, ou trop le
metteur en scène, ou trop l'acteur et même le public ou le décor,
la lumière, la musique etc. nous quittons progressivement le théâtre
pour aller vers la représentation d'autre chose.
L’équilibre
est subtil et fragile et dans notre art, comme le funambule sur le
fil, nous le cherchons sans cesse.
Pour
qu'il y ait un tel équilibre de compétences et de travail
d'ensemble il faut imaginer la création d'une pièce de théâtre
comme un grand corps, plus grand que nous, composé de tous les
acteurs de la création et dont nous faisons partie. Il faut donc
apprendre à renoncer paisiblement à ce « quelque chose »
que nous avions créé et à ne pas être nostalgique vis à vis du
travail qui va s'effacer au cours des répétitions, emportant avec
lui quelques-unes de nos idées, de nos images.
Ce
procédé nous oblige nécessairement à nous pencher sur les notions
d'humilité et de confiance :
Humilité
dans le sens où il faut apprendre à accepter ce qui n'est pas fixé
d'avance et à faire confiance aux talents de chaque participant à
la création. Confiance aussi dans le fait que tout le monde œuvre
dans le même but commun et qu'il emploie les mêmes principes que
nous.
Bien
sûr ceci suffit à justifier le rôle du metteur en scène, d’une
figure qui soit plus grandement impliqué dans l'orchestration du
projet.
Mais
au-delà du rôle du metteur en scène, en adoptant « humilité
et confiance » chacun peut valoriser son énergie et son
intuition comme étant un outil concret de création, car nous
pouvons nous concentrer d’avantage sur notre propre rôle dans le
processus créatif de l’œuvre.
De
plus, que nous soyons auteur*, metteur en scène, acteur ou
spectateur nous devons nous confronter avec le caractère éphémère
de la représentation théâtrale, son lien avec le moment présent
et qui, à la différence d'autres expressions artistiques (la
peinture, la sculpture, la photographie, etc.) ne peut pas chercher à
traverser le temps et emporter les visions de l'artiste vers un élan
immortel.
*ça
peut être un sujet de discussion.
"Le
culte du passé est sans importance mais la mémoire guide notre
action"
Malgré
les résistances et une certaine réalité du métier, je suis de
cette famille qui désire un acteur invisible, un acteur qui œuvre
dans l'objectif d’être un passeur de mémoire vivante, porteur de
la pensée des philosophes et miroir de l'actualité. Un acteur qui
apparaît autant que l’interprète disparaît.
Aimer
le théâtre ne signifie pas forcément aimer être acteur.
Questions
Une
pratique en quête de sens
Car
au travers de la représentation théâtrale nous ne cherchons pas de
réponse mais d'avantage de questions.
« Faire
du théâtre signifie pratiquer une activité en quête de sens »
E. Barba « Le canoë de papier »
En
ce sens l'acteur serait un professionnel du questionnement car il
puise sa vitalité en essayant d'atteindre la vérité inaccessible.
Questions
relatives à sa propre pratique du métier et à sa relation avec la
mémoire vivante. Souvent le fil entre les deux est très mince.
Quelle
est l'art de l'acteur ?
Quelle
est la source de cette énergie qui envahit le corps de l'acteur ?
Quel
est ce phénomène de la présence de l'acteur qui en dilate le corps
et l'esprit ?
Quelle
est la différence entre la vérité et la sincérité ?
Entre
le quotidien et l’extra-quotidien ?
Qu'est-ce
que les sentiments et les émotions, comment les utiliser?
De
ces questionnements naissent d'autres questionnements :
Sur
quoi agissons nous quand on travaille sur des actions, sur des
mouvements ?
Quelle
est l'alchimie entre le texte et le mouvement du corps, quel est leur
espace de rencontre ?
Enfin,
nous nous apercevons que nous ne pouvons pas travailler sur le jeu de
l'acteur sans nous pencher sur son objectif, le public. L'autre côté
de la médaille, le miroir, ce qui renverse tout et ouvre le
questionnement sur d'infinies possibilités.
Cependant
il existe des notions universelles sur lesquelles nous pouvons nous
appuyer.
Ces
notions agissent au niveau pré expressif de l'acteur et nous
éclairent sur le phénomène de la présence scénique. Elles nous
donnent des informations sur comment utiliser le corps, la voix et
l'espace aux fins de la représentation.
Dans
toutes les grandes traditions culturelles du monde nous retrouvons un
théâtre où l'acteur utilise une alchimie qui marie le jeu avec le
chant et la danse.
Le
kathakali, la danse de Bali, le Kabuki, l’Opéra chinois, le Nô,
le Kyogen, la tragédie grecque et la Commedia dell'Arte sont (entre
autres) encore aujourd'hui des lieux d'expression où nous pouvons
observer ces liants universels à l’œuvre :
Une
technique corporelle (forme et substance, langage extra quotidien,
esthétique)
La
précision (travail sur le détail)
Le
rythme et la musicalité (source de l’interprétation)
La
suggestion (fantaisie, imagination, états émotionnels)
Le
« secret » de l'acteur
Le
« secret » de l'acteur est dans l'aspect unique de
l’interprète, dans le développement de sa nature propre.
Il
se trouve dans la synthèse de ces notions universelles, plus le
phénomène de la suggestion qui l'envahit et qui est la délivrance
de sa créativité, de son imaginaire, de sa fantaisie et de sa
vision personnelle du monde.
Il
se trouve dans cette liberté qui existe entre milles contraintes.
Il
est vrai que nous pouvons expliquer comment cela se fait que l'on
meurt mais nous ne pouvons pas expliquer avec la même science
pourquoi nous sommes en vie.
De
la même manière existe dans le travail de l'acteur une fracture
entre le quoi et le comment.
Cette
fracture est une question d'« énergie », de polarité,
de vitesse et de température.
Zeami
(Grand maître du Nô Japonais) disait : « Je peux vous
enseigner la forme parfaite et le geste parfait pour designer la
lune, mais du bout de votre doigt à la lune ça ne tient qu'à
vous. »
Nous
nous apercevons que beaucoup de choses qui concernent le «
secret » de l'acteur et l'alchimie entre la scène et le public
restent mystérieuses et qu’elles ne peuvent pas être expliquées
uniquement de façon théorique. Il n'existe pas à ma connaissance
une recette miracle pour qui voudrait s'approprier le « secret »
en se passant de la pratique et de l’expérience personnelle.
C’est
mon opinion que la plupart des acteurs, au cours de leur formation,
fixent trop tôt leur potentiel d'expression.
Ils
produisent des protections pour se défendre du public. Alors ils
crient, ils courent et ils utilisent leurs muscles à tout va, ils
abusent de leurs techniques et cette technique se voit trop. Eux
aussi finalement, on les voit trop.
Il
est juste que l'acteur forge des protections mais il est du ressort
de la qualité de la formation et du formateur de faire en sorte que
ces protections opèrent plus en profondeur, au-delà de la
technique, dans les couches plus sensibles de l'acteur.
La
technique, même la plus riche et superbe, même la plus suggestive,
n'est pas une fin en soi et ne doit servir qu'à développer les
outils apparents de l'acteur afin de lui permettre de travailler sur
ses outils imperceptibles, invisibles au spectateur, son énergie.
La
technique a cet inconvénient d’être la même pour tout le monde
tandis que la qualité de l’énergie est unique et propre à chaque
interprète.
L’acteur
dans sa pratique
L'acteur
est l'interprète de l'auteur mais aussi du metteur en scène, du
public, du monde. Il est au centre d'une espèce de rose des vents où
ces visions convergent. Il doit pouvoir en faire la synthèse.
L’acteur
est semblable à un instrument de musique. Un individu capable de
jouer d’un instrument d’une grande justesse et d’une grande
sensibilité où l’interprète et son instrument sont fondus en un
seul être. L’instrument dont je parle est le corps humain. Cet
instrument sait parler, danser, chanter, agir et se laisser traverser
par les choses du monde.
Notre
corps agit sur le monde au moyen de ses muscles et de sa voix. Le
monde dont je parle est un espace qui peut être extérieur et
intérieur.
En
ligne générale tous les êtres humains se confrontent au monde de
façon complètement instinctive et naturelle, de façon presque
inconsciente. La vie même est un parcours d’apprivoisement du
monde et de ces espaces : d’abord de façon instinctive dans
l’enfance, puis de plus en plus maîtrisée au fur et à mesure que
nous intégrons la langue et les règles sociales, ses codes et les
symboles qui finissent par composer notre caractère, nos attitudes
et notre apparence. Dans ce chemin nous faisons toute une série de
choix, composant cette identité qui nous permet de devenir une
personne et de vivre au sein de la communauté.
Mais
une personne, malgré sa capacité innée à copier les
comportements, n’est pas encore un acteur au sens théâtral. Un
acteur est une personne qui se spécialise en un domaine précis. Ce
domaine est la capacité à créer des mondes, ou mieux, à
transposer la réalité en une forme artificielle. Pour ce faire il a
besoin d’un apprentissage qui lui permette de décomposer le monde
(comme en musique nous isolons les sons) afin de le recomposer à
notre guise et de façon claire (audible et visible).
L’acteur,
en explorant la relation entre son corps et les choses du monde (sol,
les autres, objets, murs, chambres, grands espaces, déserts) et
celle des choses de l’âme (l’univers abstrait de la présence,
des émotions, des sentiments, de l’intuition, l’hésitation,
etc.) s’entraîne à en prendre conscience.
Ensuite
cet acteur doit pouvoir transposer ce savoir dans un espace régi par
des lois artificielles, un espace à la fois imaginaire et collectif,
un lieu d'exploration des extrémités périlleuses. Le théâtre,
l’arène de la vie.
Ainsi
l’art de l’acteur est à considérer non pas comme un art
conceptuel, un art de la fantaisie, mais un art du concret. Car nous
ne pouvons concevoir, en réalité, que ce qui existe déjà.
« Toute
abstraction a son origine dans la matière » écrit Decroux
dans Paroles sur le mime.
L’acteur
doit être avant tout un créateur qui, grâce à son métier et sa
méthode, choisit, épure, isole, transforme et agrandit la réalité
et l’utilise pour aboutir à une forme artificielle, une œuvre.
L’acteur devrait posséder mieux que personne l’art de jouer la
manière dont le monde agit sur le corps et dont le corps agit sur le
monde.
L'acteur
est donc un artiste qui s'interrogera sans cesse tout au long de sa
pratique, et au-delà de sa formation de base, car l'acteur doit
pouvoir se façonner tout au long de l’exercice de son métier au
moyen d'une stratégie de travail qui lui permette d’évoluer sans
cesse et en complicité avec le metteur en scène. (Alchimie
corps-texte)
Mon
intention a toujours été de développer une méthode à usage de
l'acteur afin qu'il puisse enrichir ses compétences et ses capacités
créatives en solo et en groupe et améliorer ainsi sa relation avec
le metteur en scène. Une méthode pédagogique jaillie au fil du
temps de cette pratique, précisant son langage, ses expériences,
ses objectifs et sa couleur.
Le
Corps : Outil de l’acteur
Le
Corps est un espace dans lequel l’interprète ne fait qu’un avec
son instrument. Un instrument d’une extraordinaire justesse et
sensibilité, qui peut nous donner à voir ce dont nous n’avons pas
l’habitude.
Il
est aussi l’organe qui nous permet d’émettre des sons qu’au
fil du temps, l’homme a articulés en mots. Le mot relevant de
l’intelligence est un artifice, dans la mesure où l’homme a
analysé, isolé et organisé les sons primordiaux en un code
transmissible : la langue. Il l’utilise alors pour prendre la
parole, produire du discours, puis du texte.
La
parole est le résultat d’un vécu que l’on ne peut pas ignorer,
elle évoque un mouvement qui devient visible pour qui l’écoute.
Le
texte en est la trace, un instantané qui défie le temps. Il peut
faire parler le Corps, de sa mémoire et de sa relation aux autres
Corps.
Le
Corps peut donner à voir ce que la parole ne peut pas nous dire.
Le
but de l'acteur est celui d’occuper l’espace de rencontre
possible entre ces deux vecteurs. Un « no man’s land »
où le Corps donne l’absolu et le texte le détail.
Tel
un parfum émanant du concret, de leur fusion naît le langage
poétique : l’alchimie Corps-Texte.
Réponses
Un
acteur créateur au sein de la création
On
comprend avec la pratique que devenir un acteur et un créateur
suppose autre chose que l'amour du théâtre : un travail sans
frontières et une discipline.
Car
un acteur doit pouvoir faire ce qu’il veut et non seulement ce
qu’il peut.
Très
souvent la capacité à créer est un talent à disposition d’un
petit nombre d’interprètes et cela à cause d’une faille, un
manque dans la formation de l’acteur. Un manque d'outils (car on
considère que cela est du domaine de création du metteur en scène)
et un manque d'exigence (car lorsque nous forgeons des outils nous ne
leurs demandons pas de réfléchir à notre place).
Ce
manque limite la capacité de création et celle d’expression des
interprètes et limite la relation avec le metteur en scène (créant
par ailleurs des tensions inutiles dérivées de cette
incompréhension).
L'urgence
est que l’acteur dispose de :
Une
formation exigeante dispensant l'apprentissage des notions de base du
travail de l'acteur et l'approfondissement de ces notions jusqu'à
révéler sa particularité.
Une
méthode de travail avec des exercices, une pédagogie de la
direction de l’acteur et de la composition de sa propre partition
cohérente avec l’œuvre qui est à créer.
Un
exercice idéal qui lui permette d'apprendre sur le tas en faisant
une expérience concrète.
Un
travail lui donnant l'occasion de se servir des outils et de
l’expérience acquise de façon individuelle et au sein d’un
groupe pour répondre aux nécessités de la mise en scène et
valider ainsi ses compétences techniques et créatives.
Un
dialogue nouveau avec le metteur en scène.
Le
résultat de cette démarche serait :
D'abord
celui de développer les capacités créatives de l'acteur afin de
lui donner une plus grande autonomie au sein de la création.
Deuxièmement
de développer un exercice idéal fondé sur un phénomène de
composition cénesthésique triangulaire : la relation
alchimique entre le sens du mouvement et le texte (parole) et la
perception du spectateur.
Le
tout agrémenté par un langage et une série très vaste de notions
et d’expériences pratiques.
Mais
cet élan pourrait facilement se disperser dans la multitude des
champs de recherche qui s'ouvrent à nous s'il n'existait pas un
dénominateur commun :
De
Meyerhold à Eugenio Barba, en passant par Etienne Decroux,
Grotowski, Brecht, Stanislavski, etc. sans citer ici l'illustre foule
de chercheurs, novateurs du théâtre pour ainsi dire moderne,
praticiens et penseurs, qu'ils soient français, italiens, russes,
polonais, japonais etc. qui se sont succédé et se succèdent encore
aujourd’hui, chez tous j'ai entendu le mot « énergie ».
Alors
peut-être que ce travail n'est à considérer très simplement que
comme une tentative de plus pour approfondir la source de l’énergie
de l'acteur.
Formation
et entretien
Formation
et entretien sont deux étapes différentes du travail de l'acteur et
il ne faut pas les confondre.
L'art
de l'acteur, son secret, réside dans la découverte et la maîtrise
de son énergie propre et la plus grande partie de cet apprentissage
concerne la formation.
Ce
qui est primordial est de travailler autour de la notion d’énergie
et de toutes ses extensions au niveau extérieur et intérieur.
De
développer une science des forces qui œuvrent aussi à un niveau
imperceptible, dans le dosage savant de l'espace- temps et développer
la spécificité de chaque interprète.
Dans
le cadre de la formation, le travail de l'acteur ne se résume pas
seulement à l’apprentissage d'une technique (langage du corps,
maîtrise de la parole et du chant) mais requiert aussi une recherche
de sens, un travail sur le développement de ses capacités créatives
et d'analyse, une méthode qui lui donne les outils pour cerner son
“secret” et parvenir à cette identité qui fait apparaître de
lui ce qu'il y a d'unique, son art.
Pour
ce faire une formation doit œuvrer sur le double profil de l’énergie
de l'acteur.
Elle
doit dispenser à la fois des notions techniques solides sur le
travail corporel, vocal et rythmique et développer le domaine plus
sensible des forces intimes.
Enfin
mais non moins important, il faut qu’elle entraîne l'acteur aux
stratégies de la création en vision de leurs applications dans le
métier.
Un
Acteur Autonome travaille avec un nouveau metteur en scène.
Nous
ne pouvons pas imaginer un acteur autonome sans mettre au point
une pédagogie développant la maîtrise des outils qui s'offrent à
lui et la capacité à choisir, donc à composer.
De
quoi s’agit-il ?
D’outils
personnels permettant d’évoluer dans sa pratique (training
autonome, une pratique du corps, maîtrise de la voix, etc.).
De
développer une science de la création (stratégies de
compositions).
D’outils
extérieurs :
De
partitions gestuelles et sonores faites de mouvements, actions,
vitesses, de formes et d’esthétique, techniques.
Sons,
paroles...
D’outils
intérieurs:
Chemins
d’énergie, vagues de la pensée, oppositions de forces, luttes,
couleurs émotionnelles, sensibilité.
Il
doit aussi intégrer une technique de travail de groupe et les
notions du choix collectif fondées sur l'observation, le constat, le
reflet, l'entraide et le sens choral.
Il
est clair que viser à l’autonomie de l'acteur ne signifie pas que
celui-ci devra travailler seul.
En
plus du groupe, il a besoin de s’appuyer sur une figure qui le
dirige et qui l’aide à choisir. Quelqu’un capable d’harmoniser
les innombrables couches dramaturgiques et capable de composer
l’œuvre finale.
Mais
puisque l’acteur autonome est plus impliqué dans l’aspect
créatif de l’œuvre et qu’il ne travaille pas pour le metteur en
scène mais avec, nous sommes loin de l’acteur-outil au service du
« metteur en scène artiste » au même titre que la
lumière, le décor, la musique, etc.
Nous
nous apercevons très vite que nous ne pouvons pas résoudre la
problématique de la créativité et l'autonomie de l'acteur sans
imaginer une nouvelle approche au metteur en scène, mais également
une nouvelle approche du metteur en scène à la création de
l’œuvre.
Ce
metteur en scène, tout comme l’acteur, doit développer sa
perspicacité et doit être capable de travailler par stratégies.
Le
metteur en scène devient notre premier spectateur.
Si
on accepte cela, nous ouvrons une réflexion sur l'objectif et la
véritable cible de la représentation qui nous conduit à considérer
la notion de spectateur.
Le
spectateur est l'objectif (se laisser traverser par...)
La
scène est l’espace où spectateur et public se retrouvent pour la
représentation d’une œuvre théâtrale.
Ceci-dit
acteurs et public ne vivent pas la même expérience. Si par exemple
l'acteur travaille sur le désespoir, le public ne reçoit peut-être
pas du désespoir mais peut-être de la jouissance en désirant le
juste châtiment pour un personnage négatif (je pense à Dom Juan).
La
scène est le support où l'acteur peint les lignes (travail sur les
lignes de force du plateau et leur symbolisme) et où il agence toute
sorte de décors de son imaginaire (véhicule l'esprit dilaté).
Mais
si le public n'est pas obligé de connaître la manière avec
laquelle l'acteur travaille, il est nécessaire pour l'acteur de
comprendre comment le public reçoit ce qu'impulse l’interprète.
L’acteur
doit intégrer dans sa pratique un travail sur le spectateur :
apprendre à faire le constat du travail de nos camarades, en
comprendre l'efficacité, perfectionner son ressenti et faire le pont
entre l'acteur et le public : perfectionner l'intelligence du
plateau.
Le
spectateur est à considérer comme un partenaire à qui nous devons
nous ouvrir, et qui, grâce à son regard et son imaginaire, a un
rôle influent sur notre prestation.
Ainsi,
si nous visons à communiquer notre œuvre, nous devons appréhender
les lois qui permettent au spectateur de la percevoir et d'interagir
avec nous.
Pour
ce faire, nous devons abandonner tout rapport de complaisance avec
notre travail de création, prendre de la distance, être partout et
nulle part à la fois.
Notre
œuvre doit pouvoir traverser le spectateur, et nous devons nous
laisser traverser par....
Donc,
nous devons devenir spectateurs nous-mêmes le plus souvent possible,
afin de comprendre de quelle manière l'œuvre se transmet et ce que
nous devons faire pour qu'elle soit lisible.
Ceci
fait partie d'un apprentissage quotidien, qui vise à habituer
l'interprète à s'éloigner de son propre jugement vis à vis de son
travail et de celui de ses camarades, en faveur du constat.
Le
constat permet à l'interprète de s'entraîner à avoir le regard le
plus « juste » possible vis à vis du travail; par conséquent il
parviendra plus facilement à faire les choix qui lui permettront
d'avancer dans la création de son œuvre. Cela s'applique aussi dans
les œuvres collectives.
La
place du spectateur est donc pour chacun des participants un exercice
quotidien.
Faire
le constat quotidien du travail de nos camarades, en accepter les
retours, travailler à s'exprimer avec justesse, trouver les bonnes
questions etc., est un exercice précieux qui nous apprend beaucoup
sur les choix qui, petit à petit, composent notre création, et sur
l'impact que celle-ci aura sur le spectateur.
Un
Corps philosophique au centre de la création théâtrale:
La
pensée du dedans et le mouvement du dehors (le parcours de
l’énergie)
Si
nous ne pouvons pas transmettre le « secret » de
l'acteur, nous pouvons accompagner les interprètes vers cette
découverte (qui est plus de l'ordre du désapprendre que de
l'apprendre) et leur donner les outils concrets et une passion des
stratégies de travail et de composition qui font de l'acteur un
métier d'art.
« L'acteur
est à la frontière entre deux mondes, il est le sas entre le dedans
et le dehors, une membrane vibrant entre le monde des idées et celui
du réel.
La
pensée, tel un souffle parcourant ce Corps l'emplit de conscience et
crée le mouvement et le son qui le sculptent de l’intérieur.
La
première action de la pensée est de dilater ce corps, de le
remplir, et son premier effort, sa première lutte, sera de le
redresser en repoussant la gravité. Dans cette résonance, dans le
rythme de ce silence, dans le réverbère de cette solitude naît la
« présence » de l'acteur.
Sa
deuxième action est celle d'articuler cette « présence »
dans l'espace en déplaçant cette pensée d'un point à un autre.
C'est ici qu'il se confronte aux premières lignes de force.
Car,
se rendre d’un point à un autre selon une ligne bien droite qui
relie ces deux points ne représente qu’une « action dramatique »
élémentaire. Or, si l’on accepte les principes théâtraux de
l’intelligence des lignes et des forces spatiales qui ordonnent la
scène, si l’on pouvait voir ce qui nous meut, les raisons qui nous
déplacent, si l’on pouvait lire clairement chaque hésitation,
chaque impasse, tous les poids et les influences de la Pensée qui
parcourt le Corps dans ce simple trajet, nous serions spectateurs du
dynamisme des idées : pas seulement d'un simple déplacement,
mais aussi de l’expérience vécue lors de cette traversée.
La
pensée est portée par l'énergie, l’énergie se condense en
émotion et l’émotion devient mouvement du corps, de la parole ou
les deux, qui rendent visibles la Pensée.
Force,
vigueur, légèreté, délicatesse, grâce... ainsi le Corps se plie,
doute, hésite et se redresse, jouant toutes les formes de la Pensée
qui émanent de son intérieur ». Tentative de description de
l’alchimie corps texte 2004
L’acteur
et l’art, l’art de l’acteur (article en cours)
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